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Papa porte une robe, les journées de retrait, la journée de la Jupe à Nantes,… Quand il a fallu traiter la question du genre et de l’égalité, les médias ont eu tendance à se concentrer sur des épiphénomènes. C’est ce qui ressort des entretiens avec les différents intervenants que nous avons pu interroger.


Tous, ou presque, ont par exemple évoqué le fameux épisode du livre Tous à poil, brandit dans les médias par Jean-François Copé. « Un livre qui parle d’animaux qui ont des poils », tentera de défendre Marie-Cécile Naves, un peu à tort. Marc Daniaud, auteur du livre, explique que « ce sont des images avec très peu de texte, une liste de personnages que l’on voit se déshabiller. »


Olivier Vial, président de l’UNI, avoue que même s’il a profité de l’emballement médiatique pour faire entendre sa position, il a été surpris par le battage : « On ne s’attendait pas à ce que ce soit ce livre qui fasse parler de la théorie du genre car ce n’était pas un livre qui en parlait. »


A chaque fois, le débat dans les médias s’articulera autour d’une polémique. Un livre, un mouvement marginal. Le débat d’idées et les scientifiques resteront au placard. « Il y a eu un manque de pédagogie, parce que les études de genre ont été confinées au monde universitaire qui est parfois coupé du monde médiatique », confirme Marie-Cécile Naves. Une personnalité politique qui a travaillé sur le dossier du genre nous a confié que les scientifiques se sont coupés eux-mêmes du débat, échaudés par la violence que pouvait engendrer leurs prises de position.


Et les politiciens ont parfois aussi délaissé le combat. La sénatrice Corinne Bouchoux le reconnaît : « Hormis Public Sénat et France Culture, je ne me suis pas précipitée au moment de la polémique, ni pour signer des tribunes, ni pour communiquer pour me faire l’avocate d’un sujet sur lequel je travaillais avant d’être parlementaire. »


Dans le duel binaire que se livre partisans et opposants, chaque camp trouve quelque chose à reprocher aux médias. D’un côté, on estime que la parole médiatique était partiale, de l’autre qu’on a trop traité la polémique, les engagements des opposants, et jamais le fond.


Autre exemple, les Journées de Retrait de l’Ecole. En envoyant des SMS sous forme de chaines à des parents, Farida Belghoul a provoqué un mouvement très fort. Certains ont retiré leurs enfants des écoles, par crainte de voir des choses scabreuses enseignées à leurs enfants.

Les médias reprennent cet événement de manière que certains jugeront disproportionnée. Une rumeur lancée qui finira par prendre de l’ampleur. « Quand il y a une rumeur, c’est très difficile de l’endiguer », admet la sénatrice.


Malgré tout, il a fallu « éteindre l’incendie », comme l’explique Corinne Bouchoux, c’est à dire faire revenir les élèves à l’école. Il fallait « expliquer que c’était une rumeur infondée », et les choses ont fini par rentrer dans l’ordre. Seule Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps Français et proche de Farida Belghoul s’est félicitée de cette action, « un geste fort » et salutaire, selon elle.


La rumeur comme clé du débat


Farida Belghoul et Béatrice Bourges n’hésiteront pas à placer un sujet qui fâche dans les raisons de ces JRE : la masturbation apprise aux enfants. Un marronnier des anti-gender, qui s'appuie, comme le confirmait Béatrice Bourges lors de l'entretien, sur le rapport de l'OMS. Pourtant, on en est loin, si on cite le rapport : « Lorsque l'on parle de comportements sexuels des enfants et des jeunes, il est primordial de garder à l'esprit que la sexualité des enfants est différente de celle des adultes et qu'il est faux d'analyser les comportements sexuels des enfants et des jeunes du point de vue de la sexualité des adultes. Les adultes donnent une signification sexuelle à certains comportements sur la base de leurs expériences d'adultes et trouvent parfois difficile de voir les choses du point de vue des enfants. Or, il est essentiel d'adopter ce point de vue. »

C’est ainsi qu’est née ce qui fera place dans les débats, malgré la veille médiatique : la rumeur. Et par internet, elle prend une ampleur considérable. Un exemple parmi d’autres : le livre Papa porte une robe. Un article est publié sur 24heuresactu, expliquant que le livre est imposé par le gouvernement aux élèves de CP-CE1. L’article est volontairement agressif et orienté. Aimé 23 000 fois sur Facebook et retweeté près de 600 fois, l’article fait vite le tour des réseaux sociaux. Le résumé du livre selon l’article : « un père de famille décide de mettre des robes ». La vérité, selon l’auteur : « Papa porte une robe raconte l’histoire d’un père boxeur qui prend une raclée. Physiquement atteint, il doit changer de métier. Avec la souplesse de ses jambes, il devient danseur, où il s’affuble d’une robe pour travailler »Le livre n’est pas imposé par le gouvernement mais fait partie d’une piste de réflexion et d’une liste de recommandations proposées par le syndicat SNUipp. Quand un camp dénonce « une apologie de l’homosexualité », l’autre parle « d’acceptation de la différence. »


Les manipulations sur Internet sont nombreuses. Notamment les propos rapportés : la nomination, en avril 2014, de Laurence Rossignol comme secrétaire d’état va être reprise par les anti-gender. En ligne de mire, plusieurs groupes liés à la Manif pour tous l’accusent d’avoir dit que « les enfants appartiennent à l’Etat »La vidéo prouve qu’elle n’a jamais dit ses mots. Elle promet ensuite de poursuivre en diffamation tous ceux qui diront qu’elle a prononcé cette phrase.

Plus largement, les lecteurs se sont retrouvés perdus face à la bataille sémantique menée. Dans les médias et dans leurs déclarations, les acteurs se sont livrés un duel acharné, au sujet d’un terme qu’il fallait citer à tout prix chez les uns, et qui n’existait pas du tout chez les autres : « théorie du genre ». Catherine Coutelle : « J’ai un ministre de l’éducation (Vincent Peillon) qui a dit un jour « La Théorie du genre »… (prend l’air effarée) Non non non non, faut pas que le ministre lui-même utilise ce mot car sinon on ne va pas être bien ». Plus tard, et comme Marie-Cécile Naves, elle précisera que cette théorie du genre n’existe pas.

Ce n’est pas l’avis d’Olivier Vial, le président de l’UNI. « Il y a eu un premier temps ça n’existait pas, puis après Vincent Peillon reconnaît qu’il ne faut pas enseigner la théorie du genre, donc que ça existe. Najat Vallaud Belkacem disait que ça existait puis que ça n’existait plus », fait-il remarquer.


La prise de parti des médias

Finalement, les médias font le choix surprenant de prendre parti : Le Monde se range du côté du gouvernement, même s’il donne la parole à des opposants. Sur Canal+, les sujets sont également à charge contre les opposants. Dans les différentes éditions du « Supplément » où « la théorie du genre » est évoquée, Maïtena Biraben, la présentatrice de l'émission prend clairement la défense du gouvernement dans ce dossier. Un portrait à charge de Farida Belghoul est réalisé. L’émission n’invite que Manuel Valls pour parler du sujet.


Libération précise à chaque article que la théorie du genre n’existe pas. L’objectif clairement établi est de faire comprendre cette idéeLe Monde ou Libé reprennent régulièrement les évènements en créant une dualité. Les arguments des opposants sont présentés à chaque fois comme des « intox », des mensonges.


Valeurs Actuelles n’hésite pas au contraire à utiliser le terme « théorie du genre » et à montrer sa forte opposition au gouvernement. Les ABCD de l’égalité sont « truffés de références à la théorie du genre », selon le journal.


Le Figaro, lui, fait le choix de laisser le débat aux scientifiques et universitaires, en leur donnant la parole dans des tribunes. Ainsi, un philosophe explique que, selon lui, les ABCD de l’égalité cherchent à « reconditionner les enfants pour que tout traitement social soit neutralisé ». Sur la même ligne de conduite, François-Xavier Bellamy, universitaire, affirme que la théorie du genre est enseignée à l’école.


Internet comme lieu d’expression

Les médias dans le tourment du genre

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"Sur internet, n'importe qui peut écrire n'importe quoi"

MC. Naves

"Les médias ont traité ceux qui ne pensaient pas comme eux comme des imbéciles"

B. Bourges

"Cette polémique a été catastophique"

C. Coutelle

« Je ne me méfie pas des médias traditionnels, c'est bien pire que ça. »

B. Bourges

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Les toilettes neutres, un des maronniers des anti-gender pour alimenter la rumeur.

Internet a permis à ceux qui n’avaient pas accès aux médias de s’exprimer. Mais il est surtout un lieu d’information – et de désinformation. Nous avons étudié quelle était la visibilité des acteurs après une recherche sur Google. En voici les résultats.

La visibilité des acteurs sur internet

Sur les 5 premières pages, les opposants sont plus visibles sur le terme « théorie du genre ». Ils sont par contre très minoritaires sur les mots-clés « égalité hommes et femmes » ainsi qu’ « égalité filles garçons ». Sur le mot-clé ABCD de l’égalité, les partisans (21 articles sur 50) devancent légèrement le traitement par les opposants (13 articles) et le traitement neutre (16 articles).

Si on se concentre justement sur le mot-clé « théorie du genre », on remarque que les articles favorables aux luttes et études sur le genre sont très présents. Mais plus on défile les pages, plus les opposants pointent le bout de leur nez.

Sur la première page, car les lecteurs ne vont souvent pas au-delà, l’information dépend fortement du mot clé. Sur le mot clé « théorie du genre », ils se partagent presque les liens. Sur « ABCD de l’égalité », les partisans sont clairement majoritaires (5 articles sur 10 + 3 articles « neutre »). Sur le terme « égalité garçons-filles » ou « égalité hommes-femmes », les opposants disparaissent. Tout simplement.