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Un combat binaire ?

La polémique autour de la « théorie du genre » a vu ses acteurs opposer leurs idées sur tous les supports : télévision, radio, presse écrite, internet…Opposants et partisans se sont livrés une réelle bataille d’idées mais aussi de mots.


Rapidement, deux camps se sont créés. D’un côté, ceux qui voulaient « préserver les traditions » et de l’autre ceux qui voulaient « faire progresser la société ».


Cette lutte binaire peut aussi se lire à travers le prisme de l’échiquier politique. Une partie de la droite dénonçait en effet cette prétendue « théorie du genre » tandis qu’une partie de la gauche défendait l’égalité entre les filles et les garçons et la mise en place des ABCD de l’égalité.


Des opposants unis pour une même cause


Au sein du groupe des opposants à cette « théorie du genre », même si les acteurs sont divers, ils ont su se rassembler pour s’attaquer au projet de loi porté au départ par Vincent Peillon. Un rassemblement déjà initié lors du débat sur la légalisation du mariage de même sexe qui leur avait donné la possibilité de se retrouver sur des sujets communs.


Depuis, ils ont mis en place une communication bien ficelée et privilégié un canal de diffusion libre et rapide : internet. La méthode est simple : contredire les arguments portés par leurs adversaires avec des chiffres, des statistiques et des citations pour les décrédibiliser.


L’Observatoire de la théorie du genre, présent exclusivement sur internet, a eu pour ambition de faire un fact checking sur ce sujet. Selon son porte parole, Olivier Vial, « l’idée, c’est de présenter aux personnes des documents officiels et de les commenter pour les avertir ». Une façon de montrer dans quel camp se situe la vérité. Même si le site se considère comme un média sérieux et fiable – son nom même en témoigne, il n’utilise pas moins la rhétorique dont se servent les mouvements plus radicaux. « Provocation : l’égérie de la théorie du genre nommée au ministère de l’Education nationale », peut-on ainsi lire sur le site au moment de la passation de pouvoir entre Benoit Hamon et Najat Vallaud Berlkacem. Ce jeu de dénonciations est aussi employé par Farida Belghoul. Pourtant, Olivier Vial critique fortement les actions menées par cette dernière. Selon lui, « elle a desservi la cause des opposants ». Il va même plus loin en expliquant qu’« elle a fait le jeu du gouvernement puisqu’il a focalisé l’opposition sur elle ». Béatrice Bourges – qui soutient la militante, critique elle, les méthodes employées par Olivier Vial et SOS éducation. Pour elle, faire un simple travail de veille sur internet ne changera rien. Il faut être dans l’action pour « éteindre l’incendie ».

On le voit bien, même si le groupe des opposants tente de faire bloc, de nombreuses dissensions voient le jour. Chacun pratique un système qui lui est propre pour alerter la société. Pour autant, lorsque l’on analyse les liens des protagonistes de cette controverse sur Twitter, on remarque qu’ils se « suivent » tous entre eux (schéma ci-contre).


Un modèle de communication


Encore plus qu’une bataille idéologique entre deux camps, cette controverse a donné lieu à un vrai combat sémantique. Les termes employés par chaque partie ont été importants au point de participer au cadrage du débat.


Les différents mouvements anti-genders se sont rassemblés derrière le terme de « théorie du genre ». Tous ont utilisé cette expression. En imposant cette terminologie, ils ont cadré le débat en le restreignant à leur vision du monde. Cette communication bien rodée, descendante de celle de La Manif pour tous, les a poussés à orienter leurs critiques vers deux cibles. Tout d’abord le gouvernement, principal instigateur et cette prétendue « théorie du genre » qu’il souhaitait mettre en place par la loi de Vincent Peillon. Mais aussi l’école républicaine, voie par laquelle « la théorie du genre » devait toucher les enfants avec les ABCD de l’égalité.

Axer leurs critiques sur l’école est un choix stratégique qui s’est avéré payant. L’éducation est un sujet qui fédère. Quoi de plus inquiétant pour les parents que la réussite scolaire de leurs enfants ? Dès qu’une polémique en relation avec l’école apparait, on assiste à un débat souvent vif. La récente réforme des rythmes scolaires est là pour en témoigner. En s’emportant contre l’indifférenciation des genres ou l’enseignement de la masturbation à l’école à coup de chaîne d’e-mail et de textos, meilleur moyen de toucher un maximum de personnes en peu de temps, les mouvements anti-genders ont réussi à rassembler autour d’eux un grand nombre de familles, mal informées sur le sujet mais inquiètes pour la qualité de la scolarité de leurs enfants.


Face à eux, le gouvernement et ses alliés, pas – ou mal, préparés à une telle contestation n’ont su quoi répondre. Il leur était impossible d’utiliser l’appellation « théorie du genre », slogan de leurs opposants. N’ayant pas de terme exact pour évoquer cette polémique, il se contentait de réfuter leurs propos, sans pouvoir en offrir les raisons, par peur d’être approximatifs au moment d’évoquer ce sujet. A  leur façon, il a donc aussi alimenté le climat de tension et de confusion qui régnait à l’époque.


Il a fallu attendre quelques mois après le début de la polémique pour que le gouvernement se positionne sur la question. En juin 2013, Najat Valaud-Belkacem, alors ministre du droit des femmes insiste sur le fait que « la théorie du genre n’existe pas ». Mais ce sont surtout les propos de Vincent Peillon en janvier 2014 qui marquent la première vraie prise de positon de la majorité sur le sujet lors d’une séance de questions au gouvernement. « L’éducation Nationale refuse la théorie du genre » a-t-il martelé à l’époque. Ce jour là, plutôt que de mettre fin à la polémique, le ministre à fait le jeu des pourfendeurs de cette supposée théorie en utilisant leurs mots.


En terme de communication, le débat a été lui aussi segmenté en deux parties. La sénatrice écologiste Corinne Bouchoux, admet que la communication des opposants a été beaucoup plus efficace. Pour elle, il n’y a aucun doute : « ils sont vainqueurs par K.O». Cette segmentation se ressent aussi dans les propos de Béatrice Bourges. Lorsqu’elle parle de ces alliés, elle utilise systématiquement « nous ». Derrière ce « nous », impossible de savoir qui elle entend vraiment. Une seule chose est affirmée : l’unité d’une partie de la société contre le gouvernement.


De la même manière, lorsqu’elle décrit ses opposants, elle emploie uniquement la troisième personne du pluriel, une façon de mieux signifier la séparation entre deux camps. Interrogée sur les personnes qui incarnent les idées qu’elle dénonce, Béatrice Bourges peine à citer plusieurs noms. Le pronom « ils » lui suffit. Cette désignation très large et à la fois réductrice lui permet de montrer qu’elle ne leur porte aucun crédit.


Une propagande anti-gender ?


Le mouvement anti-gender a utilisé des méthodes de communication semblables à de la propagande. Cette vidéo réalisée par SOS Education en est un bon exemple. 

Dans cette vidéo volontairement anxiogène, de plus de 11 minutes, diffusée sur son site officiel, SOS Education dresse un état des lieux de l’Ecole républicaine avec des chiffres et des statistiques. L’opposition aux ABCD de l’égalité est martelée.  


La vidéo cherche à persuader les internautes que la priorité du gouvernement est de faire appliquer l’égalité de genre dans les écoles et non de trouver des solutions face à l’échec scolaire ou à la pénurie d’enseignants.


Les termes utilisés pour désigner les ABCD de l’égalité et ce qui l’entoure sont très forts, voire insultants. Il est question de « pédagogues détraqués », « d’idéologues du genre » ou de « forcenés » - dont les principaux sont Vincent Peillon et Najat Vallaud Belkacem – d’un « dispositif absurde » construit d’« élucubrations ineptes » ayant pour but de « formater politiquement dès le plus jeune âge ». L’association dénonce l’implication de « lobbies sordides », qui ne sont autres que les associations LGBT, ainsi que les sympathisants du dispositif, pointant directement la FCPE, une fédération de parents d’élèves marquée à gauche.


SOS Education rappelle aussi son action et sa lutte contre l’enseignement de l’égalité de genre. On peut lire et entendre : « Depuis plus de dix ans, les idéologues du ministère préparent les pires folies, mais les membres de SOS Education sont sur leur chemin». Plusieurs « victoires » sont évoquées, comme le retrait de l’amendement de Barbara Ponpili.


L’association affirme être pour l’égalité entre les hommes et les femmes, comme « tout le monde » mais refuse la « déconstruction des genres ». Une affirmation qui a pour but de répondre aux attaques des adversaires qui n’ont cesse de répéter que les opposants des ABCD sont contre l’égalité entre les filles et les garçons.


Elle explique également que les ABCD  de l'égalité sont en faveur des filles. Celles-ci seraient « discriminées par une culture machiste, y compris à l’école ». L’association se base sur des chiffres pour infirmer cela, expliquant que sur « 180 000 jeunes qui quittent chaque année l’école sans formation, 2/3 sont des garçons ». De plus, « 71% des filles obtiennent un bac général contre 61% chez les garçons ».


Cet argument revient dans le discours d’Olivier Vial. Selon lui, ce sont « les garçons qui souffrent le plus d’inégalités dans le système scolaire ».


Autre point commun visible dans la vidéo : les deux associations dénoncent les actions du SNUIpp-FSU, il est décrit comme étant « le syndicat enseignant qui règne en maître à l’Education nationale ». Celui-ci est en faveur de la mise en place des ABCD de l’égalité.


Au-delà des dénonciations et de la déconstruction des arguments adverses, l’objectif est de rassembler le plus grand nombre d’internautes. A quatre reprises, la voix off interpelle l’auditeur pour lui demander de signer la pétition et la diffuser au plus grand nombre, insistant sur l’urgence de la situation. Elle va même jusqu’à supplier les internautes.


Le but d’une telle communication est claire : stigmatiser les défenseurs de l’égalité entre les filles et les garçons.


Deux camps catégorisés


Les médias ont également participé à la séparation en deux camps des protagonistes. A la télévision, dans les émissions politiques ou dans les magazines, ces acteurs se retrouvaient face à face, symbolisant ainsi le duel présent dans ce débat. Très vite, sur les plateaux, l’ambiance entre les deux parties dégénérait. Ce fut le cas par exemple dans l’émission de Ruth Elkrief sur BFM TV. Un débat très virulent a lieu entre le secrétaire national de l’UMP, Guillaume Peltier dénonciateur de la « théorie du genre » et la député écologiste, Barbara Pompili. Une fois de plus, la « théorie du genre » survient dans cet échange après que ces deux politiques aient parlé du mariage pour tous et de la GPA. Les arguments deviennent alors très difficilement audibles tant l’excitation est à son comble.


Mais c’est surtout les acteurs des deux camps qui participent à cette catégorisation. Selon Béatrice Bourges, « on prend toujours le même exemple de la bonne famille catho avec 5 enfants (sic)». En effet, du côté des défenseurs de l’égalité entre les filles et les garçons, on dénonce une petite minorité de Français radicaux qui sait se faire entendre. Pour la sénatrice Corinne Bouchoux, on a affaire à des « illuminés ». La députée Catherine Coutelle dénonce elle aussi « une frange extrémiste qui ne représente rien ». Selon elle, « on retrouve toujours les mêmes sur le mariage pour tous, l’IVG, la fin de vie et l’égalité entre les filles et les garçons ». Béatrice Bourges en est un exemple, elle vient de La Manif pour tous et est en pointe sur le sujet de la « théorie du genre ».


Chez les opposants, on retrouve la même méthode. Selon Farida Belghoul, les « enfants sont perverti par des pédagogies gauchistes ». Mais ce qui revient le plus souvent dans leur bouche, c’est que le gouvernement et les médias ont tenté de les stigmatiser. Olivier Vial ne veut pas être présenté comme un dangereux extrémiste. 

En s’attaquant aux ABCD de l’égalité, les anti-genders cherchent à décrédibiliser la politique du gouvernement. Ces différents groupes ne sont pas montés au créneau lorsque le gouvernement Fillon avait accepté l'édition de manuels de SVT qui traitait du genre. Ce n’est seulement que lors du quinquennat de François Hollande qu’ils se sont mobilisés. Derrière cette polémique se cache un véritable clivage gauche-droite. Plus que de dénoncer la « théorie du genre », c’est la vision de la gauche pour la société qui semble vivement critiquée.

"Farida Belghoul a desservi la cause des opposants."

O. Vial

"Les opposants sont vainqueurs par K.O"

C. Bouchoux

"Voilà à quoi on réduit la mission de l’école : formater politiquement les élèves dès le plus jeune âge"

SOS Education

" Est-ce qu'aujourd’hui il y a vraiment une inégalité entre les filles et les garçons ? Cela reste à démontrer"

B. Bourges

"On prend toujours le même exemple de la bonne famille catho avec 5 enfants"

B. Bourges

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Le texto à l'origine de la journée de retrait de l'école envoyé par Farida Belghoul.

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