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Une multitude d'acteurs organisés

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Militants, syndicats, associations, fédérations, collectifs, parents, professeurs, intellectuels : la composition des acteurs de la controverse sur la « théorie du genre » est multiple. 


Ceux qui ont pris part au débat, en paroles ou en actes, restent bien différents par leur profil, leur orientation politique, leurs types d’actions, leurs revendications, leurs objectifs, leurs moyens de communication, leurs supports ou encore par leur arrivée dans le débat. Tous n’ont pas agit en même temps, ni pour les mêmes raisons.


Les intervenants que nous avons interrogés reconnaissent à la fois un rapport binaire entre opposants et partisans, tout en affirmant que l’opposition ne s’est pas retrouvée dans un seul et même bloc. « J’ai regretté que tous ceux qui étaient contre l’idéologie du genre ne fasse pas bloc et n’aillent pas contre le système », explique, par exemple, Béatrice Bourges. Selon elle, il y a eu plusieurs types d’opposants. Il en est de même du côté des partisans. Il faut évidemment séparer les hommes et femmes politiques, des enseignants, des associations engagées dans la lutte contre le sexisme et l’homophobie, et des chercheurs. Ils sont nombreux à travailler sur cette question en France, néanmoins ils ont été peu visibles dans l’espace public. Beaucoup ont préféré rester en retrait, peu intéressés par la polémique qu’ils ont jugé absurde ; ou trop échaudés lors de leur prise de parole dans les médias traditionnels.


De manière non exhaustive, voici la présentation des acteurs les plus actifs sur le sujet. Cliquez sur chaque logo pour voir les desciptions de ces acteurs, puis cliquer à nouveau pour quitter la présentation.


Les opposants:

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Les partisans :

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L’observatoire de la théorie du genre, vainqueur en organisation


L’Observatoire de la théorie du genre semble être le premier site de poids dans la l’opposition. Il est apparu sur Internet à partir de février 2013.


Il doit sa création à l’UNI, l’Union Nationale Inter-universitaire. C’est une association « indépendante » qui rassemble « des lycéens, des étudiants, des enseignants, des sociologues, des retraités et tous ceux souhaitant adhérer ». Ces adhérents ont pour point commun de s’intéresser aux problèmes de l’enseignement et de la recherche. Ouverte à priori à tous, l’UNI se positionne tout de même bien à droite. Elle déclare d’ailleurs souhaiter proposer « une réelle alternative à la gauche et porter un projet ambitieux pour la jeunesse. »


L’objectif de cet observatoire est « d’analyser toutes les théories nées dans les années 1970 dans les milieux féministes radicaux et dans les communautés LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres) ». Car pour lui, ce sont ces études et ces milieux qui sont « à l’origine de la théorie du genre ». Son action est par définition réactionnaire, puisqu’il agit en réaction à des mouvements qu’il dénonce.


Olivier Vial est parti d’un constat. Pour lui, « les militants de la théorie du genre sont de plus en plus influents dans les cabinets ministériels, dans l’éducation et dans les écoles ». C’est ce qui l’a poussé à lancer ce projet.


« L’observatoire essaie de donner aux Français des outils pour qu’ils comprennent la situation, pour qu’ils puissent être vigilants, pour qu’ils puissent comprendre ce qu’on apprend à leur enfant », explique-t-il. C’est pourquoi le slogan de cet observatoire est le suivant : « Ouvrir les yeux sur la théorie du genre. »


Dans cette vidéo, Olivier Vial explique les méthodes de travail de l’observatoire et leur importance pour le crédit de son site internet.


La création du site concorde avec la proposition de l’ajout de l’amendement de la députée PS Julie Sommaruga (voir « les partisants »). L’apparition du mot « genre » dans un texte de loi est un « acte déclencheur », selon Olivier Vial. Il y voit la légalisation de la « théorie du genre ». Il met immédiatement en place, sur le site de l’observatoire, une pétition pour faire retirer cet amendement. Celle-ci aurait obtenu 270 000 signatures. Le retrait de l'amendement, par le Sénat le 14 mai 2013, est une grande victoire. Mais le site appelle à rester très vigilant.


Avant l’été 2013, l’observatoire met en garde les Français contre la mise en place à la rentrée 2014 de « cours d’éducation sexuelle qui seront obligatoires pour tous les élèves à partir de 6 ans ». Ces cours auraient pour objectif de « dépasser la binarité historique entre féminin et masculin ». Un point qui dérange beaucoup Olivier Vial. Le site dénonce également les actions du SNUIpp-FSU, et principalement un guide édité par ce syndicat enseignant, pour « former les enseignants à la déconstruction des stéréotypes de genre dès l’école primaire. »

Il rappelle également l’existence de la Ligne Azur, décrit comme un « site internet extrêmement militant qui prétend, par exemple, que l’identité de genre comme l’identité sexuelle ne seraient fondées que sur le simple sentiment d’appartenir à un genre ou un autre, sans que des données anatomiques ou biologiques n’entrent en considération ». Sur le site officiel de la Ligne Azur, la définition donnée n’a pas la même tonalité : « Depuis 1997, Ligne Azur est un dispositif d’information et de soutien pour toute personne qui se pose des questions sur son orientation sexuelle et/ou son identité de genre ». Depuis 2010, le ministère de l’Education s’est engagé activement dans la lutte contre toutes les formes de discriminations dont celles commises à raison de l’orientation ou de l’identité sexuelle. C’est pourquoi il s’est associé à la Ligne Azur afin de pouvoir aider les jeunes qui se poseraient des questions quant à leur sexualité ou qui en souffriraient.


C’est dans ce même engagement, que le ministère de l’Education a reçu en juin 2013 un rapport intitulé « Discriminations LGBT-phobes à l’école et recommandations ». Celui-ci propose à Vincent Peillon un « ensemble d’actions mises en œuvre [qui] doivent viser à déconstruire les préjugés, idées fausses et stéréotypes ». Ce rapport a été lui aussi dénoncé par les opposants car il a été rédigé par Michel Teychenné, un des fondateurs de l’association Homosexualité et socialisme, proche du PS en 1984, notamment chargé des questions LGBT dans la campagne de François Hollande en 2012.                      

Farida Belghoul, leader d’une opposition extrémiste


Farida Belghoul apparaît comme la leader de l’opposition « anti-gender » la plus extrémiste. Olivier Vial confie ne pas souhaiter travailler avec elle. Cette professeure d’Histoire et de Lettres en lycée professionnel est à l’origine de l’appel au boycott de l’école, connu sous le nom de « JRE », journée de retrait à l’école, lancé à partir de janvier 2014. Elle a refusé de nous rencontrer. Nous n’avons pas réussi à prendre contact avec l’un des membres de sa fédération.


Cette militante a un profil atypique. Elle est passée de l’extrême-gauche à l’extrême droite. Dans les années 1980, elle s’était faite connaître en tant que militante antiraciste. Aujourd’hui, elle serait proche d’Alain Soral, un idéologue qui se définit lui-même comme un « nationaliste-socialiste ». Ancien membre du comité central du Front National, ce dernier a fondé le parti Egalité et Réconciliation en 2007. En 2009, lors des élections départementales, il s’est même porté candidat en Ile-de-France pour la liste antisioniste, menée par le polémiste Dieudonné. Le site officiel du parti Egalité et Réconciliation a consacré tout un dossier à la « théorie du genre », la dénonçant et mettant en avant des opposants et leurs actions, notamment celles de Farida Belghoul.


En janvier 2014, Farida Belghoul utilise les réseaux sociaux pour inciter les parents à retirer leurs enfants de l’école une fois par mois. Cette action de boycott est réalisée contre « l’abomination » que représente pour elle les ABCD de l’égalité. Outre Facebook, Farida Belghoul créé un site appelé JRE – journée de retrait à l’école. Pour mener ce mouvement, elle envoie massivement des SMS aux parents d’élèves. La communauté musulmane est notamment ciblée.


Nous avons rencontré un parent d’élève (souhaitant rester anonyme) qui affirme avoir reçu un message de mise en garde envoyé par « l’imam de France »Dans ce texto, ce dernier lui recommande de ne pas envoyer son enfant à l’école le 27 janvier 2014 en signe de boycott. « Soit on accepte la théorie du genre, soit on défend l’avenir de nos enfants », explique le texto. En répondant au SMS via le contact inconnu qui y figure, un renvoi automatique est effectué vers le site Facebook « Journée de retrait à l’école » – administré par Farida Belghoul. Ces messages évoquent des cours de masturbation dès la maternelle, des distributions de peluches en forme de pénis et de vagin, des  modules d’éducation sexuelle « avec démonstration » ou encore des déguisements de filles pour les garçons. Des faits qui suscitent immédiatement la peur chez les parents. Aujourd’hui, il est impossible de mesurer l’impact de ces journées de retraits. Une centaine d’écoles semblent avoir été confrontées à des absences d’élèves en janvier, février et mars 2014.


En août 2014, Farida Belghoul a fondé la Fédération autonome de parents engagés et courageux (FAPEC), une association de parents pour protester contre l’enseignement de la « théorie du genre » à l’école. Son objectif : inciter les parents partageant ses idées à se présenter aux élections des représentants de parents d’élèves qui ont lieues à chaque rentrée scolaire. Cette fédération est notamment dénoncée par la FCPE, qui y voit un « acte dangereux ». En janvier dernier, Farida Belghoul a aussi annoncé la création d’un ministère de l’instruction publique avec la FAPEC.


Elle a également lancé les « ABCD de la complémentarité » qui n’est autre qu’« un programme d’actions pour l’année 2014/2105 défendant la complémentarité hommes-femmes mise à mal par la société moderne ». Par définition, cette action est réactionnaire et traduit le rejet de la société actuelle. Le premier atelier de ce programme a pour appellation « opération contes traditionnels ». Elle consiste à lire ou faire lire chaque semaine un nouveau conte aux enfants mis en ligne tous les samedis sur le site JRE. Parmi ces propositions de lecture, on trouve : Frérot et soeurette, Raiponce, La gardeuse d’oies, La jouvencelle au roseau ou encore Le prince grenouille.


Farida Belghoul a reçu un blâme de l’académie de Versailles pour son appel aux JRE et ses propos déplacés quant à la ministre de l’Education en octobre 2014. En effet, en tant que fonctionnaire de l’Education nationale, elle ne peut se permettre de critiquer ouvertement la politique menée par le ministère. Dans une vidéo publiée le jour de la nomination de Najat Vallaud Belkacem, Farida Belghoul l’a présentée comme la « chouchoute du lobby, trans, bi et compagnie » tout en l’appelant volontairement « monsieur Najat Vallaud Belkacem. »


Farida Belghoul est également mise en examen pour complicité de diffamation pour avoir mis en cause dans une vidéo une enseignante de l’école Blotterie en mars 2014 à Joué lès Tours. Cette mise en examen soulève un point important : la véracité des informations communiquées par la militante.


Elle refuse toute prise de parole dans les médias traditionnels. Elle répond uniquement aux médias indépendants ou à ceux qui partagent les mêmes convictions. Afin de diffuser ses idées, elle réalise de nombreuses conférences privées et des vidéos publiées sur son site internet. 

La Manif pour tous, pro de la communication


Il est impossible de passer à côté de La Manif pour tous (LMPT) tant le collectif a fait parler de lui. Le 2 novembre 2012, pas moins de 37 associations décidaient de se réunir pour lancer un appel à manifester contre le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe en France.


Le collectif compte des noms et des associations connus dont Laurence Tcheng, fondatrice de La Gauche pour le mariage républicain ; Xavier Bongibault,  fondateur de Plus gay sans mariage ; Frigide Barjot, fondatrice de Pour l’humanité durable ; Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA ; Camel Bechikh, président de Fils de France ; Béatrice Bourges, présidente du Collectif pour l’enfant ou encore Antoine Renard, président des Associations familles catholiques. Toutes ces associations ont pour point commun de défendre avec force la « famille traditionnelle » et rejettent totalement le mariage homosexuel. Sa formation, née d’une révolte profonde contre le gouvernement, est réactionnaire.


La Manif pour Tous constitue avec le Printemps Français, l’expression la plus visible de l’opposition à la loi Taubira et à tous les projets touchant à la famille. Pour autant, ces deux mouvements sont différents. Béatrice Bourges a été exclue en mars 2013  de La Manif pour Tous et a fondé le mouvement dissident, le Printemps Français, « qui va plus loin ». Elle en est aujourd’hui la porte-parole. « Le Printemps Français est un état d’esprit de résistance à toutes les idéologies, qui vont d’ailleurs bien au-delà du gender, et en particulier qui tend à lutter contre le mondialisme-nihiliste qui est l’idéologie du moment », explique-t-elle. « Une idéologie qui tente de faire de l’Homme le maître de l’Homme, un producteur consommateur exclusif qui impose le « je veux donc j’ai droit », expression qui inclut la théorie du genre puisque si je veux être une femme alors que je suis un homme, j’ai le droit de changer de sexe », ajoute-t-elle à sa définition. Le collectif de La Manif pour Tous rejoint toutefois en partie cet état d’esprit.


C’est seulement à partir de février 2013 que LMPT s'implique réellement dans la lutte contre l'idéologie du genre. Le 2 février, le collectif appelle à une grande manifestation, d’abord contre le projet de la loi famille, la PMA et la GPA mais aussi contre « la diffusion de l’idéologie du genre ». Selon Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif pour Tous, « il est temps de mettre un terme à tous les projets LGBT et anti-famille que prépare le gouvernement dans la foulée de la loi Taubira dont LMPT demande toujours l’abrogation ». L'association demande à l’occasion de cette grande démonstration « la suspension de l’expérimentation des ABCD dits de l’égalité », et exige la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le sujet et la concertation des parents d’élèves et des associations familiales. A Paris, la préfecture de police a annoncé 80 000 personnes. Les organisateurs évoquent eux une vague « rose et bleue » et parlent de 500 000 manifestants dans la capitale.


Outre les appels à manifester largement diffusés, La Manif pour Tous a développé une très bonne communication. Son point fort ? Son site internet. On y trouve des dossiers faisant référence à des textes de loi, des expertises et des études ainsi que des vidéos. Autant d’outils qui permettent de donner du crédit au collectif.


Le contenu multimédia est révélateur de leurs méthodes de communication. La vidéo « comprendre le ‘gender’ en moins de trois minutes », mise en ligne en décembre 2014, reprend les caractéristiques des vidéos pédagogiques utilisées par certains médias comme Le Monde ou France Info. Ces vidéos, très courtes, ont pour but de rendre intelligible un sujet complexe et de l’expliquer le plus clairement possible. Elles sont donc synthétiques et schématiséeset employées comme argument d’autorité.


Son activité sur les réseaux sociaux fait preuve de son excellence en matière de communication et atteste de sa grande visibilité dans l’espace public. Par conséquent, LMPT apparaît comme un acteur important et fédérateur.

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La Manif pour Tous réalise aussi des actions dans les départements. Par exemple, à la rentrée 2014, France de Lantivy, la présidente de la section départementale de Loire Atlantique, a envoyé à tous les chefs d’établissement scolaire du département une lettre les informant de la mise en place d’une « veille active » contre l’enseignement de la « théorie du genre » alors même que les ABCD de l’égalité n’y seront pas appliqués. 

                                                             

SOS Education, un acteur discret mais suivi


SOS Education est une association militante créée en 2001 dans le but de « sauver l’Ecole ». Elle ne se revendique ni syndicat, ni fédération, ni parti politique. Selon sa définition, c’est « un groupement de citoyens qui oeuvre pour exiger de l’école qu’elle remonte ses standards », dont les principaux sont la qualité et le respect. Elle se décrit comme une « force indépendante face aux décideurs publics ». L’association s’était opposée à l’amendement pour l’enseignement de l’égalité des genres dès ses prémices en juin 2012.


En avril 2013, elle s’est largement investie contre les ABCD de l’égalité. Cette date n’est pas insignifiante. L’association reconnaît vouloir profiter du départ de Vincent Peillon pour renforcer son action. SOS Education a écrit une lettre au président de la République, mis en ligne une pétition demandant à François Hollande de retirer les ABCD de l’égalité et a réalisé une vidéo encourageant à la signer (voir chapitre « Un combat binaire ? »). Cette pétition « Non au genre à l’école : pas d’ABCD, le B.A.B.A » aurait récoltée plus de 30 000 signatures en quelques jours.


Avec cette action, SOS Education apparaît comme un opposant de première classe, or l'association a été peu médiatisée. Pourtant, ses arguments sont radicaux. Toutefois, elle se place comme un « observateur », au même titre que l’Observatoire de la théorie du genre. Elle permet d’alerter les parents d’élèves.


Cette association plaide en faveur d’une école qui ne s’occuperait que d’instruction et non d’éducation. Pour elle, la mission de l’école s’arrête à « apprendre à lire, écrire et compter. »

Des intellectuels engagés et bavards


Parmi les voix opposées, on trouve celle d’intellectuels, notamment des philosophes, qui ont reconnu l’existence d’une « théorie du genre ». Ils se basent davantage sur des faits scientifiques, sociologiques ou culturels pour critiquer les études de genre. Ils sont à distinguer des réactionnaires. Ces philosophes ont pris la parole dans les médias ou ont couché leurs réflexions sur papier. Nous n’avons pas pu les rencontrer, mais à titre d’exemple, nous pouvons citer :  


Michel Boyancé, le doyen de l’IPC (Facultés libres de philosophie et de psychologie) et le philosophe Thibaud Collin, qui ont notamment écrit L’Éducation à l’âge du « gender » : construire ou déconstruire l’homme. Ces intellectuels sont contre les études du genre et l’idée d’une construction culturelle de l’identité.


Le philosophe polémiste, Alain Finkielkraut, qui a dénoncé le fait que le gouvernement veuille missionner l’école. Pour lui, ce n’est pas à l’école de parler de genre. « L’école vole les enfants à leurs parents », a-t-il affirmé sur les plateaux de plusieurs médias.


Michel Onfray a également utilisé le terme de « théorie du genre » au micro de Patrick Cohen alors qu’il était interrogé sur l’éducation au moment de la polémique.


Alain de Benoist, philosophe d’extrême droite, estime lui que « cette théorie va à l’encontre de la science ». Dans son ouvrage, Les Démons du bien, du nouvel ordre moral à l’idéologie du genre, il explique que certaines différences entre les filles et les garçons sont irréfutables : « les filles sont plus sensibles et les garçons plus physiques ». Il parle même d’une « théorie de mort ».


Plus modéré, Marcel Gauchet, le directeur d'étude à l’Ecole des hautes études en sciences sociales au centre de recherches politiques Raymon Aron et rédacteur en chef de la revue Le Débat, reconnaît l’existence d’une « théorie du genre » mais refuse que l’on dise qu’elle a été enseignée dans les écoles. Pour lui, il s’agissait simplement d’ateliers visant à lutter contre les stéréotypes auxquels on n’aurait pas du prêter autant d’importance car ils étaient « puérils et niais ».


Bérénice Levet, philosophe et professeur à Polytechnique, est l’auteure de La Théorie du genre ou le monde rêvé des anges, le dernier essai d’importance en date sur ce sujet. Cette docteure en philosophie dit avoir décidé d’écrire cet essai après avoir découvert que son neveu, élève en CM1, devait lire le récit de David Walliams, intitulé Le Jour où je me suis déguisé en fille. Jusque là, cette spécialiste d’Hannah Arendt n’avait jamais pensé écrire un essai pour s’opposer aux études de genre. Bérénice Levet réagit à ce qu’elle considère comme une « régression philosophique ». Au micro de Guillaume Erner, dans l’émission Service Public sur France Inter, elle explique que ce qui la gêne avec le genre, « c’est qu’il y a une façon de trancher entre la nature et la culture » et montre que cette « théorie du genre » est « une aspiration à en finir avec une culture. »

Les porteurs politiques du projet


Les hommes et femmes politiques qui ont travaillé sur le projet de loi de refonte de l’Ecole Républicaine sont restés très discrets dans les médias.


Vincent Peillon, souvent interrogé sur ce sujet n’a cessé répéter que la « théorie du genre » n’existait pas, tout comme ses successeurs, Benoit Hamon et Najat Vallaud Belkacem.


Najat Vallaud Belkacem, en tant qu’ancienne ministre des Droits des femmes (de mai 2012 à mars 2014), est en pointe sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle est la femme politique la plus dénoncée par les opposants. Dès son arrivée au ministère de l’Education, elle a porté le projet des ABCD de l’égalité. Elle lutte activement contre les stéréotypes sexués et toute forme de discrimination (racisme, homophobie, etc). Dans les médias, elle a toujours refusé l’appellation « théorie du genre ». Elle n’a jamais voulu s’intéresser aux opposants, leur attachant un discours non fondé et extrémiste. Sur son site internet, elle a publié plusieurs articles intitulés « ABCD de l’égalité Désintox » dans le but d’expliquer les intentions du ministère et faire cesser les rumeurs. Elle relaie également toutes ses interventions dans la presse et promeut l’égalité entre les filles et les garçons.


Beaucoup de personnages politiques de la majorité ont soutenu le projet Peillon et la nécessité de lutter contre les stéréotypes genrés. Un membre du gouvernement nous a confié qu’en 2012, « la majorité votait encore d’un seul homme »Julie Sommaruga, l’auteure de l’amendement qui a suscité la colère des premiers opposants. Elle ne s’est pas beaucoup médiatisée car elle a été très controversée. Lorsqu’elle s’exprimait sur le sujet, elle défendait l’enseignement de l’égalité entre les filles et garçons pour lutter contre les « stéréotypes sexués. »


Barbara Pompili, la députée écologiste qui a tenté de réintroduire le mot « genre » lors de la deuxième lecture du projet Peillon. Elle a finalement retiré son amendement pour que le débat ne soit pas « instrumentalisé ».


Laura Slimani, l’actuelle présidente des Jeunes socialistes. Sur son site internet, dans la rubrique « présentation », on peut lire : « Depuis des années j'agis avec les Jeunes Socialistes au quotidien pour porter nos idées auprès du gouvernement et faire progresser nos valeurs dans la société. Mes combats sont multiples mais se résument en un mot : égalité ». On comprend donc qu’elle ait porté avec force le projet de l’enseignement de l’égalité entre les filles et les garçons dans les écoles.


Le 1er février 2014, pendant le rassemblement des secrétaires d’action du Parti Socialiste, la jeune femme a affirmé devant des centaines de militants : « Socialiste, je suis féministe. Et je le dis ici, tranquillement, parce que nous devons assumer, les différences entre les femmes et les hommes ne sont pas uniquement innées, mais aussi socialement construites. Oui, le genre ça existe, cela change nos manières d’enseigner, et c’est tant mieux, parce que ça veut dire plus d’égalité. »


Le Parti socialiste ne se cachait pas de défendre le genre avant la polémique. 


Enseignants, syndicats et associations de parents d’élèves


Ce projet a également été soutenu par les 600 enseignants volontaires pour expérimenter les ABCD de l’égalité.


Il a été également vivement défendu et porté par le syndicat SNUipp-FSU, principal syndicat d’enseignants au sein de l’école primaire. Depuis 2004, le syndicat s’est doté d’une commission nationale de lutte contre les LGBTphobies pour combattre toutes les discriminations. Cette commission s’intéresse à « la promotion de l’égalité des droits, et à la défense des enseignent(es) discriminé(es) en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ». Elle réfléchit également aux développements des enseignements susceptibles de faire évoluer les représentations et reculer les préjugés, pour une reconnaissance plus large de l’homosexualité, de la bisexualité et de la transsexualité.

En mai 2013, le SNUIpp-FSU a organisé un colloque sur le thème de l’éducation contre l’homophobie. A cette occasion, il a diffusé un dossier de près de 200 pages, avec des analyses théoriques, des conseils et des fiches pratiques liées à des albums pour enfants (comme par exemple Papa porte une robe) afin d’inciter les enseignants à consacrer du temps scolaire pour « faire évoluer les mentalités ». Pour ce syndicat, c’est bien à l’école de jouer un rôle dans la lutte contre l’homophobie, le racisme, les stéréotypes et les inégalités.


Le projet a aussi été relayé par certaines associations de parents d’élève comme la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), marquée à gauche. Dans certaines écoles, c’est par le biais de cette fédération que les parents ont été prévenus de l’expérimentation des ABCD de l’égalité. 

Les associations LBGT


Les associations LGBT étaient aussi favorables à ce projet d'égalité des genres. On peut citer par exemple SOS homophobie, LGBT, Trans Europe, Estim, Trans GesT. Celles-ci défendent le genre, qu'elles distinguent du sexe. Ces associations peuvent organiser des interventions en milieu scolaire. SOS homophobie dispose d’ailleurs d’un agrément national du ministère de l’Education au titre des associations complémentaires de l’enseignement public. 

République et Diversité


République et Diversité est un think-tank très marqué, présidé par Louis-Georges Tin, le fondateur de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et le président du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran). Ce laboratoire d’idées représente également un acteur important en faveur de la mise en avant des études de genre. Il se bat pour « mieux intégrer les questions LGBT, la représentation des femmes et la diversité des origines » dans les manuels scolaires. 

Les spécialistes du genre


La notion de genre reste avant tout la matière grise d’un grand nombre de chercheurs en France. Mais, face à la polémique, ils ont préféré rester concentrés sur leurs études. C’est du moins l’explication de la sénatrice Corinne Bouchoux, qui s’est beaucoup intéressée à ces questions. Elle reconnaît qu’ils ont « tous été blessés dans leur travail intellectuel et échaudés par le traitement médiatiques. »


Pour n’en présenter que deux, nous avons choisi Eric Fassin, sociologue à l’École Normale Supérieure et chercheur à l’Iris ainsi qu’ Elsa Dorlin, philosophe contemporaine, spécialiste des questions de genre et professeur de philosophie politique et sociale au département de Science politique de l’université Paris VIII. Elle y dispense un cours intitulé « théories du genre ».


Ensemble, ils ont notamment publié Reproduire le genre, en 2010. Aucun des deux n’a souhaité nous rencontrer.


Eric Fassin a pris la parole en plein cœur de la polémique afin d’essayer de mettre un terme à la désinformation sur les études de genre. Voici qu’il répétait : « L’ordre des corps, des sexes et des sexualités n’est pas fondé en nature. Mais la théorie du genre n’existe pas. La propagande des pourfendeurs affirme que la (prétendue) « théorie du genre » nie toute différence entre garçons et filles. C’est faux : le concept de genre montre que ces différences sont construites, et donc qu’elles sont bien réelles. Un mur a beau être construit, il n’en existe pas moins : la preuve, on peut s’y cogner… Les études de genre n’affirment pas non plus que chacun est libre de faire ce qu’il veut, de changer à son gré de sexe ou de sexualité. Au contraire : elles parlent de normes qu’il est bien difficile de faire bouger. »


Elsa Dorlin, elle, insiste davantage sur l’idée qu’il n’y aurait pas « un seul modèle de sexualité, que le genre est souvent pensé comme hétérosexuel », ce qui construit, selon elle, des stéréotypes contre lesquels il faut lutter.


Photo: Judith Butler, pionnière américaine des gender studies (voir partie « Des origines à la polémique »)