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L'enseignement de l'égalité filles-garçons :


Fantasme ou réalité ?

Les ABCD de l’égalité ont fait couler beaucoup d’encre. Nos différentes interviews nous ont montré que le terme, bien qu’utilisé massivement et officiellement, n’évoquait souvent pas grand chose de concret. Olivier Vial et Béatrice Bourges parlent d’un « système absurde », « d’ateliers de perversion », d’un « enseignement malsain et dangereux ». Pour les autres interlocuteurs, il s’agit de « simples ateliers », de « pistes de réflexions », d’un « enseignement à l’égalité » avec des « projections de vidéos », « des lectures de livres recommandées ». En somme, d’« une invitation à la discussion. »


Avec la place de la parole des opposants dans les médias comme sur Internet, il en devient difficile de savoir de quoi il s’agit vraiment.


D’abord annoncé comme une expérimentation dans le but d’une application généralisée à la rentrée 2014, les ABCD ont finalement été remplacés par un plan d’action à l’enseignement de l’égalité entre les filles et les garçons. Entre cette première et cette dernière annonce, que s’est-il passé ? Cette frise chronologique tente d’y répondre. 

Les ABCD de l’égalité : de vrais ateliers pratiques déplacés ?


Pour tenter de comprendre l’application concrète de ces ABCD dans les écoles, nous avons rencontré Chantal Belliot, directrice d’une école primaire à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ayant participé à l’expérimentation. Elle nous a expliqué en quoi consistaient les ateliers mis en place. 

Si on s’en tient à cette explication, les ABCD sont bien loin des dénonciations qui leur ont été attribuées. Toutefois, nos intervenants ont évoqué certains loupés. Les livres recommandés par l’Education nationale étaient par exemple destinés aux enseignants et non directement aux enfants. Chantal Belliot a évoqué la grande liberté des enseignants une fois dans leur classe. Ce manque de directives pourrait expliquer certains faux pas. « Les enseignants avaient seulement des pistes de travail, après ils étaient totalement libres », insiste-t-elle.

 

Pour la majorité des opposants, les ABCD de l’égalité n’ont pas leur place à l’école car ce n’est pas à l’Etat de s’occuper de cette éducation. Catherine Coutelle, entre autres, n’est pas de cet avis. Pour elle, ce projet avait bien sa place à l’école car les stéréotypes y sont présents. C’est d’ailleurs ces stéréotypes qui permettent, selon elle, de comprendre qu’il y a bien une différence entre le sexe et le genre. 

Si certains stéréotypes peuvent être discutés, celui de l’orientation reste le principal pour cette députée. « C’est bien connu, on n’oriente pas les filles de la même manière que les garçons. Les filles, comme les garçons, sont canalisées et mises sur des rails du fait de leur genre », affirme-t-elle. Un problème d’orientation tout aussi mis en avant par Marie-Cécile Naves. La chercheuse regrette par exemple que l’on ferme le secteur de la petite enfance aux hommes, considérant qu’il y a encore une séparation entre des métiers dits masculins et d’autres plus féminins.


Chantal Belliot confirme cette présence de stéréotypes sexués. Elle lutte contre eux depuis 4 ans dans la cour de récréation de son école. Une mission qui « n’a gêné personne », aime-t-elle à faire remarquer. Il lui paraissait tout à fait logique de porter son école volontaire pour l’expérimentation des ABCD. Aujourd’hui, elle semble très déçue par ce qui était proposé, alors même que les stéréotypes sont bien installés dans les écoles, notamment via les parents. 

Des parents manipulés par des rumeurs


Chez les parents d’élèves, les fausses informations sur les ABCD de l’égalité ont fait croitre un sentiment de panique.


Chantal Belliot a constaté qu’il y a eu davantage de problèmes d’incompréhension dans les écoles maternelles. Elle nous a expliqué qu’« une poignée de parents avait participé aux journées de retrait parce qu’on leur avait dit que leurs enfants allaient voir des films avec plein d’enfants tous nus ». Grâce à une discussion raisonnée, Chantal Belliot a pu les rassurer. Elle explique même qu’ « ils se sont aperçus d’eux-mêmes par la suite que leurs peurs n’étaient que des fantasmes ». Elle estime que les parents d’élèves ont été « manipulés » par les associations très opposantes comme celle de Farida Belghoul. Pour Marie-Cécile Naves, il suffisait seulement « d’un peu de bon sens » pour démêler le vrai du faux. Catherine Coutelle fait part de plus d’indulgence. « C’est bien connu, plus c’est gros, plus on tombe dans le panneau », assure-t-elle. Mais, elle comprend tout à fait l’effet de panique qu’il y a pu avoir. Elle a rencontré quelques parents complètement angoissés.


Nous avons pu communiquer avec une parent d’élève d’une école maternelle du Val-de-Marne. Son témoignage confirme ce climat de panique du début de l’année 2014. Cette mère de famille ne souhaite pas rendre public son nom.


« Ma fille avait 4 ans, raconte-t-elle. Un jour, devant son école maternelle, je trouve une affiche qui annonce que les ABCD de l’égalité vont être mis en place. Je ne connaissais pas bien le sujet. Une amie m’avait simplement raconté que son petit garçon était rentré en disant qu’il voulait être une fille à cause de ces ateliers. J’étais donc assez méfiante. J’ai demandé plusieurs fois un rendez-vous avec la directrice pour qu’elle m’explique. J’avais juste besoin d’être rassurée. Je me suis informée par Internet ». C’est là que cette jeune femme est tombée sur des informations en apparence officielles. « Heureusement qu’il y avait l’Observatoire de la théorie du genre, qui est magnifique, pour m’éclairer ». Sur ce site, elle y découvre – ou croit découvrir, ce que sont les ABCD de l’égalité, la théorie du genre et ce qu’ils mettent en place dans les écoles. Chiffres, citations, notes faisant référence à des textes de loi… Elle est « effrayée » par ce qu’elle lit. Pour elle, autant d’informations factuelles sont synonymes de vérité. Lors de son entretien avec la directrice, qu’elle finit par obtenir péniblement, elle ne parvient pas à avoir plus de détails sur les ABCD. Derrière ce silence et ce refus de parler des ABCD, cette mère y voit la volonté de cacher ce que l’on va apprendre à sa fille. Elle préfère faire davantage confiance aux sites et associations qui lui fournissent des indications précises. Quelque qu’elles soient. Interrogée sur l’UNI, la jeune femme dit ne pas connaître leur position politique. « Ils peuvent être extrémistes, au moins nous avons des informations sur le sujet. Ils disent la vérité », affirme-t-elle. Elle décide de participer aux journées de retrait. Logique. Dans cette école, elle évoque « 70% d’absence ». Elle dit avoir été choquée par la réaction des enseignants. « Les parents qui n’avaient pas mis leur enfant à l’école ont du se justifier. On a eu un petit mot qui nous invitait à les aider à lutter contre les opposants, à se méfier des anti-genders, qu’ils racontaient n’importe quoi et qu’on était en droit de les dénoncer à la police ». C’est là que la guerre entre les anti et les pro a commencé dans l’école maternelle de sa fille, allant même jusqu’à des dépôts de plaintes entre des membres de la FCPE et des militants anti-genders. Suite à cela, elle retire sa fille de cet établissement public pour la placer dans une école privée.


Au-delà des convictions de cette mère de famille, ce témoignage pointe le manque de communication entre le corps enseignant et les parents. Un vide dans lequel se sont engouffré les associations les plus radicales. Chantal Belliot reconnaît elle-même ne pas avoir annoncé que son école participait à l’expérimentation. La raison ? L’évidence de travailler sur cette question. En revanche, elle a fait du cas par cas pour les parents en demande d’information. Une action qui prend du temps.


Et aujourd’hui ?


Invitée sur le plateau de « On n’est pas couché » sur France 2 le 25 octobre 2014, la ministre Najat Vallaud Belkacem refuse à nouveau de dire que les ABCD ont été « enterrés », revient sur leur diabolisation et évoque le plan d’action en cours « qui en est la continuité »

Un discours de façade ? Il y paraîtrait. Il existe bel et bien un plan d’action à l’égalité entre les filles et les garçons. Mais, dans les écoles, il n’y a plus d’ateliers, plus de livres ou de lectures recommandées. Chantal Belliot le confirme. Pour elle, le gouvernement aurait du rendre obligatoire cet enseignement.

Pour elle, comme la plupart des intervenants interrogés, le gouvernement a reculé face à la polémique.


Pour la députée PS Catherine Coutelle et la sénatrice EELV Corinne Bouchoux, le nouveau plan d’action est « insuffisant », mais il a au moins le mérite d’exister. S’il n’est plus question, pour le moment, de remettre en place des ateliers dans les salles de classe, des modules sur le genre sont désormais dispensés pendant la formation à l’ESPE (Ecole supérieure de professorat et de l’éducation). Un dispositif qui reste cependant léger.

Pour un bon nombre d’opposants, la bataille est terminée. Et gagnée. Olivier Vial affirme que « les ABCD n’ont pas été remplacés ». Il le « sait ». Cette information lui permet de crier victoire aujourd’hui. Béatrice Bourges émet plus de réserve. Pour elle, « il n’y a pas besoin de plan officiel pour faire entrer les ABCD dans tous les cours » Elle le répète, « l’idéologie du genre est entrée dans les écoles depuis bien longtemps de façon pernicieuse. »


Quelques associations anti-genders restent « très vigilantes » et « veillent » à la présence de l’idéologie du genre dans les écoles. Quelques unes dénoncent d’ailleurs « un bourrage de crâne » des futurs enseignants. Compte tenu du nombre d’heures (2 heures) passé sur ces questions, l’expression « bourrage de crâne » apparaît d’elle-même abusive.


Si l’égalité des genres n’est plus la priorité du ministère de l’Education, la majorité des écoles, notamment celles où l’expérimentation des ABCD s’est bien passée et celles qui effectuaient déjà des réflexions sur le sujet, continue de travailler pour faire disparaître les stéréotypes entre les filles et les garçons. « C’est un travail quotidien, assure Chantal Belliot. Dès qu’il y a une phrase du type ‘c’est un jeu de garçons, on ne veut pas de filles’ ou qu’il faut nettoyer une table et que tous les garçons s’en vont naturellement, il faut agir, expliquer. Il n’y a rien de plus normal ». Un devoir qui ne semble donc pas avoir besoin ni d’ateliers, ni de programme, ni de plan d’action. Une normalité qui s’impose dans l’ombre, sans faire aucun bruit. 

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Au moment de l'expérimentation des ABCD de l'égalité, les ministres Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem se sont déplacés dans de nombreuses écoles.

"Quand on dit que les filles ne sont pas bonnes en mathématiques, c’est un stéréotype de genre. Il n’y a pas de gêne des mathématiques féminin ou masculin"

C. Coutelle

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"Les discussions avec les enfants partent de ce qu’ils vivent. Ca commence souvent à partir des jeux où il y a des propos sexistes ou carrément du rejet. L’objectif est que les garçons arrêtent de considérer qu’une fille ne peut pas vivre avec une balle aux pieds" 

C. Belliot

"Quand il y a un minimum de pédagogie, les gens comprennent qu’il s’agit d’égalité et non de ‘théorie’"

MC. Naves

"L’école n’est pas là uniquement pour apprendre des disciplines ou des contenus, elle est là pour transmettre des valeurs. L’égalité est une valeur fondamentale."

N. Vallaud-Belkacem

"Là où je suis désolée, c’est qu’on ne fasse pas plus les ABCD de l’égalité. Le gouvernement a peur de réanimer quelque chose. Moi je pense qu’il ne faut pas qu’on s’arrête, il y a un besoin chez les jeunes de cette éducation"